Port-au-Prince, 28 juillet 2025 — Sous les lumières tamisées de l’Hôtel Karibe, les mots du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé ont résonné avec gravité. Entouré de son directeur de cabinet, Me Axène Joseph, le chef du gouvernement a, une fois de plus, réaffirmé la volonté de l’État de restaurer la sécurité nationale. C’était à l’occasion de la clôture de la quatrième Table Sectorielle sur la Sécurité (TSS). Mais cette déclaration, comme tant d’autres auparavant, se heurte à une réalité têtue : celle d’un pays pris dans l’étau d’un chaos persistant.
Organisée par le Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH) avec le soutien du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH), cette TSS a rassemblé un large éventail d’acteurs étatiques et non étatiques autour du thème : « Forces de sécurité nationale et internationale en Haïti : défis et perspectives ». Un intitulé qui résume à lui seul les obstacles : institutions fragilisées, manque criant de moyens, infiltration des corps sécuritaires, et une impuissance criante face à des groupes armés toujours plus organisés.
Parmi les participants figuraient des magistrats, des cadres de la Police Nationale d’Haïti (PNH), des représentants des Forces Armées d’Haïti (FAD’H), de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MSS), ainsi que des défenseurs des droits humains. Cette diversité reflète un certain consensus… mais aussi un malaise palpable : celui de constater que l’État peine toujours à reprendre le contrôle de larges pans du territoire, abandonnés à des gangs mieux équipés et souvent plus organisés que les forces publiques elles-mêmes.
Entre volonté politique et urgence sécuritaire
Dans son discours, le Premier ministre a rappelé que la sécurité constitue le pilier de la transition politique. Référendum constitutionnel, élections générales : autant d’échéances suspendues à la capacité du gouvernement à sécuriser le pays. « Les jours meilleurs se profilent à l’horizon », a-t-il déclaré, dans une formule qui, malgré son optimisme affiché, ressemble davantage à un vœu qu’à une garantie.
Mais sur le terrain, le contraste est brutal. Les opérations policières restent sporadiques et souvent inefficaces. La PNH, pourtant considérée par le HCDH comme l’élément central du dispositif sécuritaire, est sous-équipée, démotivée et gangrenée par la corruption. Quant à l’appui de la MSS et aux perspectives de coopération avec l’OEA évoquées par le CARDH, ils demeurent pour l’instant à l’état de projet.
Une volonté affirmée… mais est-elle suffisante ?
Le discours officiel se veut résolu, mais une question persiste : la volonté politique peut-elle réellement inverser une dynamique où le pouvoir de l’État est largement contesté sur le terrain ? Les instances telles que le CPT (Conseil Présidentiel de Transition) ou le CSPN (Conseil Supérieur de la Police Nationale) ont-elles les moyens, logistiques et symboliques, de restaurer l’autorité républicaine ? Ou s’agit-il une fois encore d’une mise en scène, d’un État tentant de reprendre en main un pouvoir depuis longtemps échappé ?
Pour Me Gédéon Jean, directeur exécutif du CARDH, la solution ne viendra que d’un renforcement réel des capacités locales. Une dépendance prolongée à l’aide internationale ne saurait être une stratégie durable. Arnaud Royer, du HCDH, a lui aussi insisté sur la nécessité de former les forces de sécurité aux standards internationaux pour espérer des progrès concrets.
La conférence du 28 juillet ne fut ni un simple rituel diplomatique, ni un moment de rupture décisif. Elle incarne un carrefour : celui où la parole publique doit enfin rencontrer l’action. Car les Haïtiens, épuisés par l’insécurité chronique, n’attendent plus des discours, mais des résultats, visibles, mesurables, concrets.
L’engagement politique est là. Reste à savoir s’il pourra, cette fois, déboucher sur une politique de sécurité cohérente et efficace. Ou s’il ne marquera qu’un nouvel épisode dans l’interminable série des rendez-vous manqués entre Haïti et sa souveraineté.
Optimiste.info